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mais graces au Ciel je ne vous reprocheray point ſa mort : puis que vous n’eſtes pas la cauſe de ſes inquietudes : Eh, veüillent les Dieux que vous ne mettiez pas Philoxipe en eſtat de vous reprocher la mienne. Non non, Seigneur, luy dit elle, voſtre vie n’eſt point en danger ; & tant que Philoxipe vivra, voſtre Majeſté n’aura rien à craindre. Ha ! Madame, s’eſcria le Roy, ne me traitez pas ſi cruellement : Ha ! Seigneur, repliqua t’elle, n’entreprenez pas s’il vous plaiſt de me vouloir perſuader des choſes ſi oppoſécs les unes aux autres en ſi peu de temps. Il n’y a que quatre ou cinq jours, que vous me fiſtes l’honneur de me dire chez Philoxipe, Que vous ne me demandiez plus rien pour vous : que mon affection eſtoit un bien où vous ne vouliez, plus avoir de part : Et vous me priaſtes encore, ſi j’ay bonne memoire, de ne traiter pas Philoxipe ſi rigoureuſement que je vous avois traité : Et peut-eſtre (adjouſta t’elle, avec une malice extréme) que defferant beaucoup à vos prieres en cette occaſion, je vous euſſe accordé ce que vous me demandiez pour Philoxipe, ſi mon amitié euſt eſté neceſſaire pour ſauver ſa vie. Mais grace au Ciel n’en ayant pas beſoin, il ſe contentera s’il luy plaiſt de mon eſtime : & voſtre Majeſté ſe ſatisfera auſſi de mon reſpect : qui eſt la ſeule choſe que je luy puis & que je luy dois rendre. Car enfin me vouloir faire croire que vous m’aimez, apres avoir pû ſouffrir qu’un autre m’aimaſt, & avoir ſouhaité que je l’aimaſſe ; c’eſt ce qui n’eſt pas aiſé d’entendre ſans quelque ſentiment de colere. Croyez moy, Seigneur, adjouſta t’elle, qu’aimer ſon Rival plus que ſa Maiſtresse, eſt une choſe qui n’a guere d’exemples : & qui me permet à mon aduis de faire connoiſtre à ceux qui sçauront la choſe, que c’eſt une excellente voye de ſe faire un Serviteur