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mais je ſerois moins miſerable. J’aurois des raiſons pour combattre ma paſſion : mais icy je ne voy rien qui ne la fortifie, & qui ne l’augmente.

Enfin apres que Philoxipe ſe fut bien pleint, il quitta le Roy : & fut encore demander cent choſes à ce jeune Eſclave, ſans qu’il peuſt tirer nul eſclaircissement, ny de la naiſſance de Policrite ; ny du lieu où Cleanthe & Megiſto eſtoient allez : & il sçeut ſeulement qu’il y avoit plus de quinze jours qu’ils eſtoient partis. Ny prieres, ny promeſſes, ny menaces, ne purent jamais rien faire dire davantage à ce jeune Eſclave, de qui Philoxipe tout deſesperé qu’il eſtoit, ne laiſſa pas d’eſtimer la fidelité. Mais enfin ne pouvant rien sçavoir de plus, il ſuivit le Roy qui s’en retournoit à Clarie. Pour moy, je ne me trouvay de ma vie plus embarraſſé : car le Roy eſtoit ſi melancolique, & de ſa propre douleur, & de celle de Philoxipe, qu’il ne pouvoit ſe reſoudre à parler, ny pour ſe pleindre, ny pour conſoler ce Prince affligé, qu’il aimoit ſi tendrement. Philoxipe de ſon coſté eſtoit encore plus inquiet : il abandonnoit cette Cabane à regret, quoy que ce qu’il aimoit n’y fuſt plus. Tantoſt il tournoit les yeux pour la regarder encore : tantoſt il regardoit la Lettre de Policroite, que le Roy luy avoit rendüe : En ſuitte il regardoit vers le Ciel : apres il attachoit ſes regards vers la terre : & marchant quelquefois ſans rien dire, & quelquefois auſſi ſoupirant fort haut, il ſembloit ne sçavoir pas ſi le Roy eſtoit là, ou s’il eſtoit ſeul, tant ſa reſuerie eſtoit profonde. Enfin nous arrivaſmes à Clarie : Mais Dieux, que la conuerſation fut triſte le reſte du jour ! Du moins Philoxipe, luy diſoit le Roy, vous avez cét avantage, de sçavoir que Policrite vous a beaucoup d’