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d’entendre ce qu’elle entendoit : & il y avoit des momens, où elle s’imaginoit que c’eſtoit peut-eſtre un pretexte que le Roy cherchoit pour rompre avec elle. Philoxipe de ſon coſté, jugeant bien qu’à la fin il faudroit dire la verité au Roy pour le deſabuser, en avoit une confuſion ſi grande, qu’il n’en pouvoit ouvrir la bouche. De ſorte que le Roy voyât ces deux Perſonnes ſi ſurprises ; & ſentant bien que peut-eſtre ſon amour le ſeroit dédire dans un moment, de tout ce que ſon amitié luy avoit fait prononcer ; ſe leva : & ſans attendre ce qu’Aretaphile reſpondroit, Madame, luy dit il, le pitoyable eſtat où vous voyez Philoxipe, vous perſuade mieux que je ne sçaurois faire : & il me pardonnera bien ſans doute, ſi je ne vous parle pas auſſi long temps pour luy, qu’il vous a parlé autrefois pour moy. En diſant cela ce Prince ſortit, quoy que Philoxipe le ſuppliast de demeurer : l’aſſurant qu’il alloit le deſabuser entierement. Cependant quoy qu’Aretaphile euſt beaucoup d’envie de s’en aller, comme elle avoit l’eſprit aigry, & qu’elle vouloit sçavoir un peu plus preciſément ce que c’eſtoit que cette bizarre avanture ; elle demeura un moment apres le Roy : & regardant Philoxipe, qui luy paroiſſoit auſſi interdit, que s’il euſt eſté amoureux d’elle ; Eſt-ce vous, luy dit elle, Philoxipe, qui avez perdu la raiſon, ou ſi c’eſt le Roy ? car je vous adjouë que j’en ſuis en doute, & que je ne vous comprens ny l’un ny l’autre. je confeſſe, Madame, repliqua Philoxipe, que je ne ſuis pas Maiſtre de ma raiſon : Mais, Madame, c’eſt un mal dont vous n’eſtes point coupable ; & dont je ne vous accuſe pas. Avez vous donc eu deſſein, luy dit elle, de me faire perdre l’amitié du Roy ; ou eſt-ce que le Roy cherche un mauvais pretexte de me l’oſter ?