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luy dit il, ne prenez pas un ſemblable deſſein : laiſſez moy ſeul icy porter la peine de ma foibleſſe : & croyez que je me loüeray infiniment de voſtre bonté, ſi elle me laiſſe ſeulement mourir en repos, parmy mes Bois & mes Rochers. Le Roy touché d’une compaſſion extréme, embraſſa encore une fois Philoxipe eſtroitement : & le regardant avec une melancolie eſtrange ; Je vous demande pardon Philoxipe, luy dit il, de ne pouvoir encore vous ceder abſolument Aretaphile : mais je viens icy pour taſcher de combatre pour l’amour de vous, la paſſion que j’ay pour elle : comme vous combatez depuis long temps pour l’amour de moy, celle qu’elle a fait naiſtre en voſtre ame. Philoxipe ſurpris du diſcours de ce Prince, eut deux mouvemens bien contraires tout à la fois : car il eut de la douleur de la bizarre opinion du Roy : & de la joye auſſi, de ce que ce Prince ne sçavoit pas la verité de ſon amour, comme il avoit penſé qu’il la sçavoit. Et comme il creût qu’il luy ſeroit bien aiſé de le deſabuser d’une choſe auſſi fauſſe qu’eſtoit celle là, il ſe reſolut de continuer de cacher ſa veritable paſſion. Le Roy n’eut donc pas pluſtost dit ce que je viens de vous dire, que Philoxipe ſe reculant d’un pas ; Quoy Seigneur, luy dit il, voſtre Majeſté me ſoubçonne d’avoir eu l’audace d’eſtre ſon Rival ! Dittes, repliqua le Roy, que je sçay que vous avez eu le malheur de ne pouvoir reſister aux charmes d’Aretaphile : Mais Philoxipe, je ne vous en accuſe pas : je les ay eſprouvez le premier : je sçay combien ils ſont ineuitables : Vous avez meſme fait plus que je n’euſſe fait moy meſme : & peut-eſtre ſi j’avois eſté en voſtre place, aurois-je trahi mon Maiſtre, au lieu de me reſoudre à mourir d’ennuy & de douleur, comme vous avez