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vertu le fuſſent de meſme : & il faudroit enfin que ce charme inexpliquable que je trouve en la moindre de vos paroles & de vos actions, & aux moins favorables de tous vos regards ; ne m’enchantaſt pas comme il fait. Mais diuine Policrite, ne craignez rien de la violence de ma paſſion : puis que plus elle ſera forte, plus je ſeray reſpectueux, & ſousmis à vos volontez. Seigneur, luy dit elle, ſi ce que vous dites eſt vray, ne m’en parlez donc plus s’il vous plaiſt : puis que ne pouvant comprendre qu’il me ſoit permis de vous donner nulle part à mon affection, il me ſemble que je vous dois prier de ne m’entretenir plus de la voſtre. Mais adorable Policrite, reprit il, pour qui la reſervez vous, cette glorieuſe affection que vous dites cruellement que je ne poſſederay jamais ? A ces mots Policrite rougit ; & baiſſant les yeux avec beaucoup de modeſtie, Je la reſerveray, luy dit elle, pour nos Bois, pour nos Prez, pour nos Rochers, & pour nos Fontaines : dont je penſe, Seigneur, pourſuivit elle en ſous-riant, que vous ne ſerez pas jaloux. Je n’en ſeray pas jaloux, repliqua t’il, mais j’en ſeray envieux : & je ne ſouffriray pas facilement que vous aimiez à mon prejudice, des choſes qui ne vous sçavroient aimer. Mais cruelle Perſonne, ne me direz vous rien de plus obligeant ? & quittant la Cour comme je fais pour l’amour de vous : & renonçant à tout ce qu’il y a au monde, excepté à Policrite : eſt il poſſible que je ne puiſſe vous obliger à me traiter avec un peu moins de ſeverité ? Je ne demande pas que vous m’aimiez : mais dites ſeulement que vous n’eſtes pas marrie que je vous aime : & adjouſtez y ſi vous voulez, que ſi je ne ſuis point aimé, c’eſt que vous ne voulez rien aimer, & que vous n’aimerez jamais rien.