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pour aller coucher à Clarie ; ſans qu’il m’euſt eſté poſſible de trouver les moyens de faire donner nul advis à Philoxipe : parce que celuy a qui l’on m’avoit baillé en garde, s’eſtant imaginé que c’eſtoit pour une affaire d’autre nature, me traitoit de Priſonnier d’Eſtat, & ne m’en voulut jamais donner la permiſſion. Au contraire, pour faire valoir ſon zele & ſa fidelité, il fut advertir le Roy de ce que j’avois voulu faire, ce qui le confirma encore plus fortement en ſon opinion. Ce Prince m’ayant fait commander de le ſuivre, j’arrivay à Clarie aveque luy, ſans qu’il euſt parlé tant que le chemin avoit duré, n’ayant fait que reſver ſur ſon avanture : mais comme nous y fuſmes, les Gens de Philoxipe dirent au Roy qu’il n’y eſtoit pas ; & que ſuivant ſa couſtume, il eſtoit allé ſe promener ſeul. Le Roy s’informa tres ſoigneusement d’un Eſcuyer qu’il y avoit long temps qui eſtoit à luy, s’il ne sçavoit rien du ſujet de la melancolie de ſon Maiſtre ? & comme cét homme aimoit tendrement Philoxipe ; voulant profiter de l’honneur que luy faiſoit le Roy de luy parler ; Seigneur, luy dit il, je ne sçay point ce qu’a mon Maiſtre : mais je sçay bien que ſi voſtre Majeſté n’a la bonté de trouver quelque remede au chagrin qui le poſſede, il mourra infailliblement bientoſt. Car enfin il mange peu : il ne dort preſque point : il ſoupire continuellement : il ne peut ſouffrir qu’on luy parle de ſes affaires : il erre les journées entieres parmy ces Champs : & je l’ay meſme entendu lors qu’il ne penſoit pas que je l’ouïſſe, & lors meſme qu’il ne penſoit pas parler, tant ſa reſverie eſtoit profonde ; s’eſcrier, Dieux, que penſeroit le Roy, s’il voyait ma melancolie telle qu’elle eſt ! & qu’il luy ſera difficile de deviner la cauſe de ma mort ! Enfin,