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l’en pleindre ? & quand je l’en pleindray, quel foible ſecours ſera celuy là ? Je haſteray peut eſtre l’heure de ſa mort, par le deſespoir que je luy donneray : Mais auſſi pourrois-je ceder Aretaphile, & l’amitié ſeroit elle plus forte que l’amour ? Philoxipe a une paſſion injuſte : mais les paſſions ne ſont pas volontaires, adjouſtoit il, & il a fait tout ce qu’il a pû & deû faire : puis que ne pouvant s’empeſcher d’aimer, il s’eſt empeſché de le dire : & a mieux aimé expoſer ſa vie par ſon ſilence reſpectueux, que de la conſerver en parlant d’une paſſion qu’il sçait bien qui me doit deſplaire. Ce Prince paſſa la nuit de cette ſorte, avec une agitation eſtrange : quelquefois il ſentoit de la colere & de la haine dans ſon cœur, ſans sçavoir pourtant ny de qui il devoit ſe vanger, ny qui il devoit haïr. Tantoſt il accuſoit un peu Philoxipe, de ne luy avoir pas dit d’abord ce qu’il ſentoit : tantoſt il s’en prenoit à la beauté d’Aretaphile : mais à la fin il s’en accuſoit luy meſme. Puis tout d’un coup venant à conſiderer le pitoyable eſtat où il voyoit Philoxipe reduit, & la malheureuſe vie qu’il menoit ; la compaſſion attendriſſoit ſon cœur de telle ſorte, qu’il s’en faloit peu qu’il n’aimaſt plus ſon pretendu Rival que ſa Maiſtresse. Il ſe ſouvenoit alors, que toutes les faveurs qu’il en avoit reçeuës, avoient eſté meſnagées & obtenuës par le moyen de Philoxipe : & il comprenoit ſi parfaitement, la peine qu’auroit effectivement ſouffert Philoxipe, ſi la choſe euſt eſté comme il la croyoit ; qu’il en eſtoit touché d’une pitié extréme.

Le lendemain au matin ſe paſſa encore en de pareilles inquietudes, & en des irreſolutions eſtranges : Mais enfin apres avoir diſné d’aſſez bonne heure, il partit tres peu accompagné,