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cela n’eſtoit pas, plus il le croyoit. Non, me diſoit il, je ſuis cauſe de mon malheur, & de celuy de Philoxipe : c’eſt moy qui J’ay obligé de voir Aretaphile plus ſouvent qu’une autre : c’eſt de ma propre main qu’il en eſt enchainé : & c’eſt moy qui fais tout ſon ſuplice. Car, pourſuivoit il, je comprends aiſément qu’il ne cherche la ſolitude, que pour ſe guerir de cette paſſion : j’ay meſme remarqué depuis quelque temps, qu’il areçeu toutes les commiſſions que je luy ay données de parler à Aretaphile avec peine : qu’il les a eſvitées autant qu’il a pû & je ne ſuis que trop perſuadé, qu’il a diſputé ſon cœur opinaſtrément ; & que je ſuis la ſeule cauſe de ſon ſuplice. Dieux, diſoit il, quelle infortune eſt la mienne ? il n’y a pas un ſeul homme en tout mon Royaume que je ne haïſſe s’il eſtoit mon Rival, excepté Philoxipe : & il n’y a pas une femme en toute la Cour, qui ne l’euſt rendu heureux s’il l’euſt aimée, à la reſerve de la Princeſſe Aretaphile. Mais Seigneur, luy diſois-je encore, je vous proteſte que Philoxipe n’en eſt point amoureux : & je vous proteſte, me reſpondoit ce Prince avec une douleur extréme, que Philoxipe eſt mon Rival : car ſi cela n’eſtoit pas, il m’auroit deſcouvert ſa paſſion. Le reſpect qu’il a pour vous, luy repliquois-je, l’en auroit deû empeſcher, quand il ſeroit vray qu’il auroit aimé : Non non, diſoit il, vous ne m’abuſerez pas : & je ſuis eſgalement perſuadé, de l’amour de Philoxipe ; de ſon innocence ; & de mon malheur. Car enfin quel homme du monde que j’aime le plus cherement, ſoit devenu amoureux de la ſeule Perſonne que je puis aimer : & que je me voye dans la cruelle neceſſité d’abandonner Aretaphile, ou de voir mourir Philoxipe ; c’eſt une advanture inſuportable. Seigneur,