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Car ſi cela eſt, adjouſta t’il, je feray mon intereſt du ſien : & ne vangeray pas moins une injure qu’il aura receüe, que ſi je l’avois reçeüe moy meſme. Seigneur, luy dis-je, Philoxipe paroiſt ſi aimé de tout le monde, qu’il eſt difficile de croire que quelqu’un l’ait pû fâcher. Je ne sçay plus qu’imaginer, reprit le Roy, & puis que l’ambition de Philoxipe eſt ſatisfaite, & que la haine & la vangeance ne troublent point ſon eſprit, il faut donc qu’il ſoit amoureux. Voſtre Majeſté, luy dis-je connoiſt trop l’inſensibilité de Philoxipe, pour le ſoubçonner d’une ſemblable choſe : Non Leontidas, me dit il, l’inſensibilité paſſée de Philoxipe, n’eſt pas une raiſon aſſez forte, pour me perſuader qu’il ſoit encore inſensible : & je ne doute preſque point, que ce ne ſoit cette paſſion qui me dérobe Philoxipe. Car enfin il a toutes les marques d’un homme amoureux : ſon viſage eſt changé, ſans qu’il ait eſté malade : il eſt chagrin ſans ſujet : il reſue preſque touſjours : il ne peut durer en nulle part : il nous fait un grand ſecret de ſa melancolie : il ne peut ſouffrir qu’on luy en parle : il abandonne le ſoing de ſes affaires : il ne fait plus de viſites que par contrainte : & excepté la Princeſſe Aretaphile qu’il a voüe par mon commandement ; il n’a pas fait une viſite de Dames, depuis que nous fuſmes à Clarie. Seigneur, luy dis-je, une partie de ce que vous dittes pour prouver que Philoxipe eſt amoureux, eſt ce me ſemble ce qui fait voir qu’il ne l’eſt pas : car enfin s’il aimoit, il chercheroit la perſonne aimée : on le verroit attaché aupres d’elle : au lieu d’eſtre melancolique, il en ſeroit plus galant & plus ſociable : & au lieu de chercher la ſolitude comme il fait, il me ſemble qu’il augmemeroit pluſtost