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quand l’Hyver fut venu, ce qui ſurprit encore davantage toute la Cour. L’on sçavoit qu’il ne faiſoit plus baſtir à Clarie : que les Peintres & les Sculpteurs qu’il y avoit eus ſi longtemps n’y eſtoient plus : que la Saiſon n’eſtoit plus belle : que quand il y alloit, c’eſtoit avec peu de Train, & qu’il s’y promenoit toujours ſeul : l’on voyoit ſur ſon viſage une triſtesse eſtrange, & un changement fort conſiderable ; & tout cela ſans qu’il paruſt aucune cauſe à ſon déplaiſir. Le Roy l’avoit comblé de bien faits & d’honneurs : il luy avoit demandé cent fois, ce qu’il deſiroit de luy ? Toute la Cour l’aimoit : il n’avoit pas un Ennemy : il eſtoit extraordinairement riche : il ne paroiſſoit point avoir de mal que l’on peuſt nommer, & que les Médecins connuſſent : Enfin, la melancolie & la retraite de Philoxipe eſtoient des choſes inconcevables. Toute la Cour ne parloit que de cela, & le Roy en eſtoit en une affliction extréme ; ne sçachant donc plus par quelle voye s’eſclaircir de ce que Philoxipe avoit dans l’ame, il jetta les yeux ſur moy : pour lequel il sçavoit que ce Prince avoit aſſez d’amitié : & meſme plus de confiance, que pour nulle autre perſonne. un jour donc que Philoxipe eſtoit allé à Clarie, le Roy m’envoya querir : & apres l’avoir aſſuré, comme il eſtoit vray, que je ne sçavois rien de particulier de la melancolie de ce Prince : il me fit l’honneur de me commander de l’aller trouver ; & de taſcher avec beaucoup d’adreſſe, de deſcouvrir ce qu’il avoit dans l’eſprit. Car, me dit il, Leontidas, j’aime Philoxipe à tel point, que je ne puis vivre content qu’il ne le ſoit : & s’il faloit luy donner la moitié de mon Royaume, je le ſerois ſans doute pluſtost, que de ne le ſatisfaire pas. Je