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Policrite eſtoit devenüe un peu plus melancolique depuis quelque temps : & en effet il ne ſe trompoit pas : car comme la beauté, la bonne mine, l’eſprit, & la civilité de Philoxipe, n’eſtoient pas des choſes que l’on peuſt voir ſans eſtime : la jeune Policrite ne pouvoit pas ſe voir aimée d’un Prince comme celuy là, ſans en avoir le cœur Un peu touché de reconnoiſſance. Neantmoins, comme elle ſe voyoit en une condition ſi eſloignée de la ſienne : & que par un ſentiment de vertu, il faloit reſister à cette affection naiſſante : elle ne pouvoit s’empeſcher de s’affliger de la conqueſte qu’elle avoit faite : & de s’en pleindre avec ſa chère Doride, qui a auſſi beaucoup d’eſprit. Ma Sœur, luy diſoit elle un jour, que vous eſtes heureuſe en comparaiſon de moy, de pouvoir encore prendre plaiſir à la promenade ; à cueillir des fleurs ; au chant des Oyſeaux ; & au murmure des Fontaines : & de n’eſtre pas reduite au point de vous pleindre de trop de bonne fortune. Car enfin Doride, je ſuis aſſurée que le cœur de Philoxipe eſt une conqueſte, que de Grandes Princeſſes voudroient avoir faite : cependant quoy qu’elles puſſent s’en rejoüir innocemment, il faut que je m’en afflige comme d’un grand mal. Je voudrois bien ne l’avoir jamais veû : ou du moins je me l’imagine. Car apres tout, quoy que je ſouhaitasse paſſionnément, ce me ſemble, qu’il ne m’aimaſt plus ; je ſuis pourtant bien aiſe de le voir. Mais, luy diſoit Doride, ſi l’amour eſt une choſe auſſi puiſſante que l’on dit, que sçavez vous ſi Philoxipe ne vous aimera point aſſez pour vous eſpouser ? Ha ma Sœur, luy reſpondit elle, comme je ne voudrois pas faire une choſe contre mon devoir, je ne voudrois pas non plus que Philoxipe fiſt rien contre