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Rochers ; a pourtant dans l’eſprit malgré ſa baſſesse & ſa ſimplicité, un ſentiment de gloire ſi délicat ; qui pour peu que vous l’offenciez, elle ſera capable de mourir de douleur & de deſplaisir. Songez donc, Seigneur, à ne rien dire qui puiſſe faire croire à Policrite que vous ne la connoiſſez pas : car enfin elle a une ſi forte paſſion pour la Vertu, qu’elle auroit bien de la peine à ne haïr pas ceux qui luy diroient quelque choſe qui luy ſeroit oppoſe. Ne craignez pas adorable Policrite, luy dit il, que je vous die rien qui vous fâche, ou du moins qui vous doive fâcher : car enfin je vous proteſte en preſence des Dieux qui m’eſcoutent, que la paſſion que vous avez pour les Fleurs, pour les Fontaines, & pour l’émail de vos Prairies ; n’eſt pas plus pure ny plus innocente, que celle que j’ay pour Policrite. Et s’il y a de la difference, c’eſt que celle que j’ay pour elle eſt ſi violente & ſi forte, qu’il n’eſt rien que je ne ſois capable de faire pour la luy teſmoigner. Vous ne le pouvez mieux faire, Seigneur, reprit Policrite, qu’en me faiſant la grace de ne me dire plus de ſemblables choſes, qui ne ſerviroient qu’à troubler le repos de ma vie : puis que ſi je ne vous croy point, j’auray ſans doute quelque chagrin de voir que vous aurez voulu vous moquer de ma ſimplicité : & ſi je vous croy, je ſeray au deſespoir d’eſtre cauſe qu’un ſi Grand Prince ait reçeu une paſſion indigne de luy, & une paſſion de laquelle il ne peut jamais tirer nul avantage. Car enfin Policrite ſe connoiſſant, & vous connoiſſant auſſi, ne voudrait pas faire une faute, ny vous obliger non plus à en faire une pour l’amour d’elle. Ainſi, ne vous engagez pas, Seigneur, en une au avanture ſi fâcheuſe : Laiſſez