s’empeſche que par eux meſmes ; il faut que la belle Inconnuë me gueriſſe elle meſme du mal qu’elle m’a fait : il faut que je la revoye & que je luy parle ; que je l’entretienne ; & que les deffauts de ſon eſprit, & la rudeſſe de ſa converſation, chaſſent de mon ame l’amour quelles charmes de ſa beauté, & la douceur de ſes yeux y ont fait regner. Mais Dieux, reprenoit il, eſt il poſſible qu’une ſi belle Perſonne puiſſe avoir quelques deffauts ? Songe Philoxipe, diſoit il, à ce que tu veux entreprendre : & crains qu’en cherchant un remede à ton mal, tu ne le rendes incurable. C’eſtoit de cette ſorte que Philoxipe raiſonnoit : qui en effet prit la reſolution d’aller le lendemain à la petite Maiſon où il sçavoit que demeuroit la belle Inconnuë : afin de luy parler, & de ſe guerir : s’imaginant que la honte qu’il auroit de ſe voir dans cette Cabane, & la groſſiere converſation de cette Fille le gueriroient infailliblement de ſa paſſion. Mais il ne sçavoit pas encore, que c’eſt un effet ordinaire de l’amour, de faire que ceux qui ſont amoureux, ſe ſervent de toutes ſortes de pretextes, pour s’aprocher de ce qu’ils aiment : ſans sçavoir eux meſmes qu’ils n’y vont pas, pour ce qu’ils y penſent aller.
Philoxipe donc ne manqua pas le jour ſuivant, de prendre le chemin des Rochers, au pied deſquels ſelon ſa couſtume il laiſſa ſes Gens : mais en allant il ſe trouvoit en une inquietude eſtrange. Tantoſt il ſouhaitoit qu’effectivement cette jeune Perſonne n’euſſ ny eſprit ny douceur : & tantoſt auſſi il deſiroit de n’y rencontrer rien, qui deſtruisist ce que faiſoit ſa beauté. Enfin ne sçachant s’il vouloit eſtre guery ou eſtre malade ; s’il vouloit eſtre libre ou eſtre captif ; & ne sçachant pas meſme encore, quel pretexte donner à cette bizarre viſite ;