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leurs Peres. Mais graces au Ciel, la vertu d’une Grande Reine qui vivoit il y a prés d’un Siecle, reſtablit tous les Temples de Venus Uranie ; fit abatre preſque tous ceux de Venus Anadiomene ; abolit toutes les infames couſtumes, qui s’eſtoient introduiſes en Chipre ; & ne laiſſa parmy nous, que des ſentimens tres purs de cette paſſion qui eſt l’ame de l’Univers, & qui ſeule entretient parmy les hommes la douceur de la ſocieté Civile. L’on nous aprend donc qu’il faut aimer noſtre Deeſſe : qu’il faut aimer nos Princes : qu’il faut aimer nos Loix : qu’il faut aimer noſtre Patrie : qu’il faut aimer nos Citoyens : qu’il faut aimer nos Peres, nos Freres, nos Femmes, & nos Enfans : & apres tout cela, qu’il faut nous aimer nous meſmes : afin de ne rien faire qui nous ſoit honteux. L’on nous dit encore, qu’il faut aimer la Gloire, les Sciences, & les beaux Arts : qu’il faut aimer les plaiſirs innocents : & qu’il faut aimer la Beauté & la Vertu, preferablement à tout ce que je viens de dire. Enfin Seigneur, l’on nous fait comprendre, que qui n’aime point, ne peut eſtre raiſonnable : & que l’inſensibilité pour quelqu’une des choſes que j’ay nommées, eſt un grand deffaut, & meſme preſque un grand crime. Vous pouvez donc bien juger Seigneur, que cette croyance eſtant generale parmy nous, la vie de la Cour de Chipre ne doit pas eſtre deſagreable : puis que tout le monde y aime les belles choſes & les Belles Perſonnes. Bien eſt il vray que ſelon les preceptes de Venus Uranie, les amours permiſes, ſont des amours ſi pures ; ſi innocentes ; ſi détachées des ſens ; & ſi eſloignées du crime ; qu’il ſemble qu’elle n’ait permis d’aimer les autres, que pour ſe rendre plus aimable ſoy meſme,