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moy, que le Roy de Pont s’eſveillant, & ne voyant plus de lumiere à travers de noſtre Tente ; ſe mit à crier à celuy qui eſtoit en ſentinelle (et qui ne nous avoit point aperçeus à cauſe de l’obſcurité) que l’on priſt garde à la Princeſſe. De ſorte qu’à ce cry, les Bateliers qui tenoient touſjours une petite Lampe cachée, l’aporterent, & l’on trouva la Princeſſe toute ſurprise. Nous vouluſmes Orſane & moy voyant cela retourner au Bateau, quelque danger qu’il peuſt avoir pour nous : mais les Mariniers ayant ramé tout d’un coup avec violence, par les ordres du Roy de Pont, nous euſmes beau crier & beau apeller, l’on ne nous voulut point reprendre : ce Prince s’imaginant ſans doute, que nous avions quelque puiſſant ſecours à terre, pour l’execution de noſtre deſſein. Nous entendiſmes pluſieurs fois la Princeſſe, qui crioit tantoſt Marteſie, & tantoſt Orſane : mais enfin nous n’entendiſmes plus rien, & ne viſmes plus rien auſſi, quoy que la Lune ſe levaſt un moment apres : car comme la riviere ſerpente fort en cét endroit, il fut impoſſible que nous viſſions plus le Bateau. Je vous laiſſe à juger Chriſante, quelle fut ma douleur & ma crainte : la premiere de me voir ſeparée de la Princeſſe ; & la ſeconde, de me voir ſeule avec un homme, au bord d’un grand fleuve, aupres d’un grand Bois, & au milieu de la nuit. Nous paſſasmes ce qui en reſtoit, à ſuivre le courant de l’eau : m’imaginant touſjours que comme la Lune eſclairoit alors toute la riviere, nous pourrions peut-eſtre du moins deſcouvrir encore une fois, le Bateau que nous avions quitté. Mais enfin eſtant extrémement laſſe, & ayant trouvé une Habitation de Peſcheurs au bord de l’eau, nous nous y arreſtasmes : & trouvaſmes ſans doute parmy eux, tout le ſecours que nous euſſions