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en feray une mauvaiſe : Mais qu’y ſerois-je ? l’amour m’y force ; & je ne tiens pas que ce toit une choſe poſſible, d’avoit en ſa puiſſance une perſonne que l’on aime comme j’aime Mandane, & de la rendre volontairement. Au reſte, elle n’aura pas les meſmes raiſons de me haïr, qu’elle avoit de n’aimer pas le Roy d’Aſſirie : je ne j’ay pas enlevée comme luy, au contraire je luy ay ſauvé la vie, & l’ay retirée d’entre les bras de la mort. Elle ne pourra donc pas m’apeller ſon Raviſſeur ſans injuſtice : puis que je ne feray ſimplement que conſerver un threſor que les Dieux m’ont fait trouver, pour me conſoler de toutes mes pertes. Mais helas ! reprenoit il tout d’un coup, comment conſerveray-je ce threſor dans un ſimple Vaiſſeau, ſans refuge & ſans retraite ? Et pourray je bien me reſoudre de rendre infiniment malheureuſe, la perſonne du monde de qui je ſouhaite le plus le bonheur ?

Enfin Chriſante, apres une violente agitation, ce Prince ne reſolut rien : & ayant sçeu par ſon Medecin que la Princeſſe eſtoit en eſtat d’eſtre veuë ; il luy envoya demander la permiſſion de la viſiter, qu’elle luy accorda. D’abord qu’il aprocha d’elle, il luy teſmoigna la joye qu’il avoit, de voir ſur ſon viſage les marques d’une aſſez bonne ſanté, veû l’accident qui luy eſtoit arrivé : ce n’eſt pas que la Princeſſe n’euſt une melancolie eſtrange dans les yeux : mais c’eſt qu’en effet elle eſt toujours belle : & que de plus, ce Prince l’ayant veüe le jour auparavant en beaucoup plus mauvais eſtat qu’elle n’eſtoit, ne s’apercevoit pas de ce que je dis. La Princeſſe qui apres tout luy devoit la vie, le reçeut fort civilement : & apres l’avoir fait aſſoir, elle luy dit avec autant d’eſprit que de douceur, Vous voyez, Seigneur, un aſſez merveilleux