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l’imagination remplie que de Throſnes renverſez ; de Sceptres rompus ; & de Couronnes briſées ; puiſſe eſtre ſensible au plaiſir ? Mais auſſi ſeroit il poſſible de pouvoir voir Mandane ; & Mandane reſſuscitée : & reſſuscitée par toy ; ſans en avoir une joye capable de conſoler de toutes ſortes de douleurs ? Non, c’eſt un privilege de l’amour, que l’ambition ne luy sçauroit diſputer : je ſens pourtant Pharnabaſe, que cette joye n’eſt pas touſjours tranquile : & qu’il y a des momens où quelque leger ſouvenir de mes pertes la trouble. L’image de Mandane ne revient pouvant pas pluſtost en ma memoire, que ces chagrins m’abandonnent ; que ces tenebres diſparoissent, & que je ne voy plus que Mandane. Ouy Pharnabaſe, quand je m’aplique fortement à cette agreable penſée, je ne sçay plus ſi je ſuis encore ſurie Throſne, ou ſi J’en ay eſté renverſé ; ſi je ſuis ſur la Mer ou ſur la Terre : & je sçay ſeulement que je ne ſonge plus, ny à reconquerir mes Royaumes ; ny à me vanger de mes Ennemis ; & que je ne penſe qu’à vaincre la cruauté de ma Princeſſe. Mais Pharnabaſe, que cette entrepriſe eſt difficile ! & que j’ay de peine à chercher moy meſme des raiſons, pour pouvoir conſerver l’eſperance de fléchir la rigueur de Mandane ! L’obligation qu’elle vous aura, reprit Pharnabaſe, eſt bien capable de toucher ſon eſprit : & je penſe qu’une perſonne qui vous doit la vie, aura beaucoup d’injuſtice, ſi elle vous refuſe ſon affection. Helas ! Pharnabaſe, luy dit ce Prince, il paroiſt bien que vous ne connoiſſez pas Mandane : sçachez que quand pour luy ſauver la vie, j’aurois mille & mille fois hazardé la mienne, elle ne me devroit encore rien. C’eſt une choſe que tous ceux qui ont l’honneur de la connoiſtre ſont obligez de