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touché de compaſſion, à ce que j’ay sçeu depuis, il commanda avec un empreſſement eſtrange qu’on les ſauvast : quoy qu’il ne creuſt avoir autre intereſt en leur conſervation, que la pitié naturelle qui le faiſoit agir. Mais imaginez vous Chriſante, quelle ſurprise fut celle de ce Prince, quand apres que l’on nous eut priſes dans l’eau, & aportées dans ſon Navire, il reconnut la Princeſſe Mandane. Je n’ay qu’à vous dire pour vous le faire comprendre, qu’il en oublia les pertes qu’il avoit faites : & qu’il ne ſongea plus qu’à ſauver la vie, à celle qui luy avoit fait perdre ſa liberté depuis long temps.

C’eſtoit donc en de pareils ſentimens qu’eſtoit ce Prince, lors que comme je j’ay deſja dit, il aſſura la Princeſſe qu’elle eſtoit en lieu où elle avoit une authorité abſolüe : Mandane ayant reconnu ſa voix auſſi bien que moy, Seigneur, luy dit elle, vous voyez que vous n’eſtes pas ſeul malheureux ; mais pour reconnoiſtre l’office que vous me rendez, je ſouhaite que vous uſiez aſſez bien de l’occaſion que les Dieux vous preſentent d’aſſister une Princeſſe infortunée, pour les obliger à vous ſecourir vous meſme. Madame, luy dit il, je ne me pleins plus de mon deſtin : & je crois eſtre obligé de remercier le Ciel de la perte de mes Royaumes, puis que ſi je ne les euſſe pas perdus, je n’aurois pas eu le bonheur de voue ſauver la vie : & d’empeſcher que tout l’Univers ne perdiſt ſon plus bel ornement. Mais Madame, vous n’eſtes pas en eſtat que l’on vous puiſſe parler ſans vous incommoder : & puis que je voy Marteſie aupres de vous, avec aſſez e force pour vous ſecourir, le reſpect que je vous porte, fait que je ne dois plus demeurer icy. Tous mes Gens ont ordre d’obeïr aux femmes qui ſont aupres de vous,