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point abandonné dans tous ſes malheurs, fit deſſein de venir offrir ſa Perſonne à Ciaxare, pour luy aider à reconquerir ſa fille ſur le Roy d’Aſſirie : car devant que d’eſtre aſſiegé, il avoit sçeu l’enlevement de la Princeſſe. De ſorte que s’embarquant dans cette reſolution, il venoit le long de la Côſte de Capadoce, afin de s’informer de l’eſtat des choſes ; & il y arriva ſi juſtement pour nous ſauver la vie ; que ſon Vaiſſeau que la tempeſte agitoit auſſi bien que noſtre Galere, ne ſe trouva pas fort eſloigné de nous, lors que nous fiſmes naufrage ; quoy que ſon Pilote euſt aporté beaucoup de ſoing à eſviter la terre dont nous eſtions fort proches. Comme ce Prince eſt effectivement bon & genereux, nous ayant veû périr ſi prés de luy, il commanda que l’on ſecourust autant que l’on pourroit, ceux qui paroiſſoient encore ſur l’eau : car comme les Vaiſſeaux reſistent mieux à la tempeſte que les Galeres, il le pouvoit faire ſans grand danger. Joint auſſi que par un de ces changemens ſubits qui arrivent ſi ſouvent à la Mer, il ſembla que nous euſſions appaiſé les flots irritez par noſtre naufrage : car le vent diminua tout d’un coup : & les vagues s’abaiſſerent en un moment. De ſorte que le Roy de Pont ayant fait mettre un Eſquif en Mer, les ſiens ſauverent pluſieurs hommes : entre leſquels fut Orſane, qui eſt venu aveque moy. Comme ils eſtoient occupez à ce pitoyable office, ce Prince eſtant ſur la Poupe de ſon Vaiſſeau, ſe trouvant peut eſtre encore plus malheureux, par la perte de ſes Royaumes, que ceux qu’il voyoit noyer ne l’eſtoient par la perte de leur vie ; vit entre les ondes des femmes que leurs robes ſoutenoient ſur l’eau. Cét objet l’ayant fortement