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ne la vy de ma vie ſi touchée. Helas ! diſoit elle, en quel pitoyable eſtat ſuis-je reduite, & quel malheureux effet eſt celuy du peu de beauté que les Dieux m’ont donné, de n’inſpirer que des ſentimens injuſtes, à ceux qui ont de l’affection pour moy ? Mais courage (reprenoit elle en regardant la Mer qui devenoit plus furieuſe que jamais) je verray bientoſt la fin de mes maux, en trouvant la fin de ma vie : & j’auray du moins cette conſolation de perir avec un de mes Ennemis. Mazare voyant la Princeſſe en une ſi grande colere, & en un ſi grand danger de faire naufrage ; entra en un deſespoir ſi extréme, d’avoir mis la Princeſſe en ce peril ; & d’avoir fait un crime qu’il jugea alors luy devoir eſtre inutile, qu’il fut tenté de ſe jetter dans la Mer ; & ſi un ſentiment d’intereſt pour la Princeſſe ne l’euſt retenu, je penſe pour moy qu’il l’euſt fait. Madame, luy dit il. Je ſuis en une affliction eſtrange, d’avoir expoſé voſtre vie, au peril où je la voy : Non, luy dit elle, ce n’eſt pas là le repentir que je voudrois de vous : & je voudrois ſeulement que vous fiſſiez changer de route ; afin que ſi j’ay à faire naufrage, les vagues me puſſent porter ſur les rives de Capadoce. Mais Chriſante, le moyen d’entreprendre de vous dire, tout ce que la Princeſſe dit, & tout ce que Mazare luy repliqua ? Ce qu’il y a de vray, c’eſt que tout criminel qu’il eſtoit, il ne laiſſoit pas de dire des choſes ſi touchantes, qu’il en faiſoit certainement pitié. D’autre part, la Princeſſe en diſoit auſſi de ſi juſtes & de ſi pitoyables, qu’elle auroit fléchy la cruauté meſme. Cependant il n’eſtoit pas aiſé de choiſir la routte que l’on devoit tenir : & il falut obeïr aux vents & à la tempeſte tant qu’elle dura. Elle nous repouſſa plus d’une