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cœur ne ſont pas en noſtre diſposition : & peut-eſtre que Mandane me voudra haïr ſans le pouvoir faire. De plus, il y a une notable difference, de l’eſtat où eſtoit le Roy d’Aſſirie aupres d’elle quand il l’enleva, à celuy où je ſuis dans ſon eſprit : elle avoit de l’averſion pour luy, & elle a de l’amitié pour moy : Et je ſuis perſuadé, que ce n’eſt pas eſtre en une diſposition fort eſloignée de recevoir quelque legere impreſſion d’amour, que d’avoir beaucoup de tendreſſe & beaucoup d’eſtime. Je sçay bien pourtant apres tout, qu’il y a plus d’apparence que je ſeray malheureux, qu’il n’y en a d’eſperer d’eſtre aime de Mandane, au prejudice d’Artamene : Mais helas, de quel autre coſté puis-je trouver plus de repos & plus de douceur ? Si je ſuis fidelle au Roy d’Aſſirie ; qu’il ſe mette en mer avec la Princeſſe ; & que je l’abandonne, je ſuis aſſuré qu’elle me haïra, d’avoir eu l’inhumanité de l’expoſer à un ſi grand ſuplice. Je ſuis aſſuré de ne la voir plus : & je ſuis aſſuré de ſouffrir un tourment effroyable, par la ſeule penſée de la sçavoir en la puiſſance du Roy d’Aſſirie, à qui les Dieux ont donné une ſi grande eſperance. D’autre part, ſi je me reſous à trahir un Prince, de qui j’ay l’honneur d’eſtre Parent, de qui je ſuis Vaſſal ; qui m’a choiſi pour le confident de ſa paſſion ; & que je remette la Princeſſe entre les mains d’Artamene, en ſeray-je plus heureux ? J’auray fait un crime, mais un crime qui me rendra le plus infortuné des hommes : n’eſtant rien de plus inſuportable, que de voir la perſonne que l’on aime, en la puiſſance d’un Rival aimé. Ha non non, Mazare ne sçauroit eſtre capable de choiſir, en une occaſion où il voit de tous les coſtez le crime ou l’infortune. S’il eſcoute la raiſon,