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de ma mort. Voulez vous, luy diſoit elle encore, que je ne puiſſe jamais reconnoiſtre par aucun ſervice, toutes les obligations que je vous ay, & que je meure la plus miſerable Perſonne du monde ? Ha Madame (luy reſpondit Mazare, avec une melancolie eſtrange) que les ſentimens de mon cœur vous ſont inconnus, & que vous sçavez peu ce que je voudrois faire pour vous ! Je sçay, luy reſpondit elle, que vous eſtes le plus obligeant Prince de la Terre : & que rien ne s’oppoſe à ce que je veux de vous, qu’un ſcrupule de generoſité mal fondée : car enfin Mazare, je ſuis perſuadée que vous avez de la compaſſion de mes maux : & que meſme vous avez de l’amitié pour moy. Cependant me pouvant ſauver, vous me laiſſez perir : & tout cela parce que vous craignez de faire une choſe injuſte. Mais sçachez trop genereux Prince, que ce n’eſt pas eſtre injuſte, que d’empeſcher un autre de faire une horrible injuſtice. En un mot Chriſante, la Princeſſe dit tant de choſes à Mazare, qu’elle l’obligea à luy demander deux jours à ſe reſoudre : Mais Dieux, pendant cela que de cruelles agitations il eut dans ſon ame ! Orſane m’a dit qu’il en penſa expirer. Tantoſt il vouloit eſtre fidelle au Roy d’Aſſirie malgré ſa paſſion : tantoſt il ne vouloit vaincre ſon amour, qu’en faveur de Mandane : puis tout d’un coup ne pouvant ſe reſoudre ny à l’une ny à l’autre de ces choſes, il ne ſongeoit plus qu’aux moyens qu’il pourroit tenir, pour profiter des malheurs d’autruy. Enfin, diſoit il, Mandane a quelque eſtime & quelque amitié pour moy : mais, reprenoit il un moment apres, elle n’aura plus ny eſtime ny amitié, dés qu’elle sçaura que l’ay de l’amour pour elle. Toutefois, adjouſtoit il, les ſentimens de noſtre