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vouloir parler à cette Femme, comme elle en avoit eu l’intention, & s’en retourna au Palais, avec une melancolie eſtrange. Le Roy d’Aſſirie l’y accompagna : & ne fut pas pluſtost dans ſa Chambre, que la regardant avec beaucoup de marques de ſatisfaction ſur le viſage ; Et bien, Madame, luy dit il, tiendrez vous meſme contre les Dieux ? Les Dieux, luy reſpondit elle, ne ſont pas injuſtes, & c’eſt toute mon eſperance. Ils ne ſont pas injuſtes, luy dit il, je l’advouë : mais advoüez auſſi qu’ils ne peuvent eſtre menteurs. Je le sçay bien, luy repliqua t’elle, mais je sçay auſſi qu’ils ſont incomprehenſibles : & qu’il y a beaucoup de temerité aux hommes, de penſer entendre parfaitement leur langage. Ils ſe ſont expliquez ſi clairement, reprit il, que je ne puis plus douter de ma bonne fortune : Ils ſe ſont expliquez ſi injuſtement en aparence, reſpondit elle, que je ne puis croire de les avoir bien entendus. Mais enfin, Seigneur (adjouſta la Princeſſe, qui vouloit eſtre ſeule pour ſe plaindre en liberté de ce nouveau malheur) ſi les Dieux doivent changer mon ame, laiſſez leur en tout le ſoing, & ne vous en meſlez plus : ils ſont aſſez puiſſans pour le faire s’ils le veulent : & laiſſez moy du moins quelque repos. Cruelle Perſonne, luy dit il en la quittant, vous reſistez au Ciel comme à la Terre : mais apres tout, c’eſt à moy à vous obeïr, & à ne vous reſister pas. Comme il fut party, Mazare qui nous avoit quittez en ſortant du Temple arriva : mais ſi triſte, que je m’eſtonne que nous ne ſoubçonnaſmes quelque choſe de la verité. Cependant nous n’en euſmes pas la moindre penſée : il eſt vray qu’il déguiſa ſa melancolie du pretexte de celle qu’il voyoit ſur le viſage de la Princeſſe, qui en effet n’eſtoit pas mediocre. Vous eſtes bien genereux,