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pourra, dis-je, encore une fois, cette impitoyable Perſonne, me voir vaincu & bleſſe à ſes pieds, ſans un ſentiment de compaſſion ! Moy, dis-je, qui perds toute ma fureur en la voyant ; qui ne ſens plus meſme la douleur de ma deffaite dés que je la regarde ; & qui m’eſtimerois encore trop heureux de ſouffrir tant de diſgraces, s’il m’eſtoit permis d’eſperer qu’elle euſt un jour pitié de mes infortunes. Ouy cruelle Princeſſe, tout vaincu, tout bleſſé, & tout malheureux que je ſuis, vous pouvez encore me rendre le plus heureux de tous les hommes. Mais de grace, pourſuivit il, ne vous obſtinez pas à inſulter ſur un miſerable : & ſongez bien auparavant que de prononcer une cruelle parole, qu’Artamene n’eſt pas encore dans Babilone. J’ay meſme à vous dire, Madame, adjouſta t’il, pour temperer un peu voſtre joye, qu’il ne loy ſera pas ſi aiſé d’y entrer, qu’il luy a eſté facile de me vaincre. Les Batailles dépendant plus particulierement de la Fortune que les Sieges : c’eſt pourquoy je puis reſpondre plus abſolument de l’evenement de l’un que de l’autre. Joint que quand je devrois faire un grand bûcher de. Babilone, je m’enſevelirois pluſtost ſous ſes ruines, que de ſouffrir qu’Artamene vous poſſedast. Seigneur, interrompit la Princeſſe ſans s’eſmouvoir, la crainte de la mort n’eſbranle gueres mon ame : & vous m’avez tellement accouſtumée a la deſirer, que ce n’eſt pas me faire une menace qui m’effraye, que de me parler de perir dans les flames. Ha ! Madame, s’eſcria ce Prince en ſe jettant à genoux, pardonnez à un malheureux, à qui vous n’avez pas laiſſé l’uſage de la raiſon : je n’ay pas ſongé à ce que j’ay dit, quand j’ay parlé de cette ſorte. Mais apres tout, que voulez vous que je devienne ? Je vous l’ay dit cent