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Roy d’Aſſirie, avec des Armes toutes rompuës, taintes de ſang en divers endroits ; une Eſcharpe à demy deſchirée, & toute ſanglante : un Panache tout poudreux, tout rompu, & tout ſanglant, car ce Prince avoit eſté bleſſé legerement à l’eſpaule. Il avoit de plus tant de triſtesse dans les yeux, & tant de marques de fureur ſur le viſage, que la Princeſſe en perdit toute la crainte qu’elle avoit eüe pour le Roy ſon Pere & pour Artamene. Joint qu’à peine ce Prince deſesperé fut il entré dans la Chambre, que prenant la parole ; Vos vœux, Madame, luy dit il, ſont exaucez : Artamene a eu l’avantage : & je penſe que je puis eſperer de ne vous deſplaire pas une fois en toute ma vie, en vous faiſant voir à vos pieds celuy que la Fortune luy a fait vaincre. Il n’a pas tenu à moy, Seigneur, luy repliqua la Princeſſe, que ce malheur ne vous ſoit pas arrivé : & ſi vous vous fuſſiez laiſſé vaincre à mes prieres & à la raiſon, Artamene ne vous auroit pas vaincu : & la victoire que vous euſſiez obtenuë ſur vous meſme, vous euſt eſté plus glorieuſe, que celle qu’Artamene a r’emportée ſur vous ne luy eſt honorable, bien qu’elle la ſoit infiniment. Quoy, Madame, reprit le Roy d’Aſſirie, la Princeſſe Mandane que j’ay touſjours veüe ſi douce & ſi pitoyable, pour les malheurs des moindres Sujets du Roy ſon Pere, pourra aprendre d’un œil ſec & d’une ame tranquile, que pour l’amour d’elle il y a une Campagne toute couverte de morts ou de mourans ; de Chariots renverſez ; d’Armes rompuës ; de Rois qui ont perdu la vie ; de Princes bleſſez ou priſonniers : qu’il y a, dis-je, un nombre infiny de Soldats noyez dans leur ſang ; & qu’enfin prés de quatre cens mille hommes ont combatu pour ſes intereſts ! Elle