Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, seconde partie, 1654.djvu/411

Cette page n’a pas encore été corrigée

que tant de perſonnes innocentes ſouffrent en ma conſideration ! Ha non Marteſie, je penſe que j’ay tort : & je confeſſe qu’il y a eu des endroits dans le diſcours du Roy d’Aſſirie, où j’ay du moins douté ſi j’avois raiſon. Cependant je l’advoüe, je n’ay jamais pû obtenir de mon cœur ny de ma bouche, la force de luy dire une parole favorable : à peine en ay-je eu formé un leger deſſein, que j’ay ſenty un trouble extraordinaire dans mon ame. Je ne sçay ſi c’eſt un effet de la haine que j’ay pour le Raviſſeur de Mandane, ou un effet de l’amitié que j’ay pour Artamene : mais enfin je n’ay pû dire tout ce qu’il euſt peut-eſtre falu dire pour le fléchir. Mais que fais-je ? reprit elle tout d’un coup, je perds ſans doute la raiſon : & mon cœur & ma bouche ont eſté plus equitables que mon eſprit. Car enfin la paix ou la guerre ne ſont pas meſme en ma diſposition : quand j’aurois pû vaincre la haine que j’ay pour un Prince qui m’a enlevée avec une injuſtice effroyable : quand je n’aurois plus conſideré Artamene, & que je me ſerois reſolüe d’avoir la laſcheté de ceder au Roy d’Aſſirie ; j’aurois fait cette laſcheté inutilement : puis que le Roy mon Pere n’auroit pas laiſſsé de faire la guerre : & que l’illuſtre Artamene l’auroit meſme faite encore plus ſanglante & plus furieuſe, pour Mandane criminelle, qu’il ne la fera pour Mandane innocente. De plus, ne sçay-je pas que depuis le fameux Dejoce, qui remit la Medie en liberté, & qui la retira de la tyrannie des Aſſiriens, il y a une haine irreconciliable entre ces Peuples ? Seroit il donc juſte, qu’une Princeſſe deſcenduë de l’illuſtre Sang du Liberateur de ſa Patrie, la remiſt en ſeruitude ? Non Marreſie ; un ſentiment de tendreſſe &