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fléchir, & qu’elle ne vouloit meſme plus luy parler ; la quitta, apres luy avoir baiſé la robe ; ſans qu’elle s’en apperçeuſt. Comme il fut dans une autre Chambre, il me fit appeller : mais je vous advoüe que de ma vie je ne vy une perſonne plus deſesperée. Il me dit encore cent choſes, pour redire à la Princeſſe : & je luy en reſpondis auſſi beaucoup, pour le ramener à la raiſon. Et comme les menaces que la Princeſſe avoit faites de ſa mort, luy tenoient l’eſprit en peine ; Marteſie, me dit il, vous me reſpendrez de la vie de Mandane : ne parlez point pour moy ſi vous ne voulez ; mais ſongez à ſa conſervation. En ſuitte il dit la meſme choſe à Arianite, & à toutes les autres femmes qu’il avoit miſes aupres d’elle : & en dit encore davantage au Prince Mazare, qu’il devoit laiſſer pour commander dans Babilone : & qui avoit eſté occupé à la reveüe des Troupes que le Roy ſon Pere luy avoit envoyées, pendant ces deux jours que nous ne l’avions point veû. De vous dire Chriſante tout ce que dit la Princeſſe, apres que le Roy d’Aſſirie fut party, ce ſeroit m’engager en un long diſcours : elle ſe releva, & voulut regarder encore une fois cette prodigieuſe Armée. Mais helas, que de funeſtes penſées l’agiterent ! Quoy, me dit elle apres avoir eſté long temps ſans parler, je puis conſentir que toutes ces Troupes que je voy, aillent contre le Roy mon Pere, & contre Artamene ! Et je puis expoſer la vie de deux Perſonnes ſi cheres, à tous les hazards d’une longue & dangereuſe guerre ! Quoy, je puis conſentir, moy qui ay touſjours eu une averſion naturelle pour les combats, que tant de milliers d’hommes, que tant de Princes, que tant de Rois, que tant de Peuples s’entretüent pour l’amour de moy ! Quoy, je puis conſentir