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en particulier, ausquelles elle ne pouvoit pas respondre bien precisément : elle s’estonnoit quelquefois de voir, que malgré elle Artamene luy revenoit en la pensée ; & de ce que la connoissance de son amour, ne luy donnoit pas davantage de colere. Quoy, disoit-elle en elle mesme, je sçauray qu’un homme que j’ay veû arriver à la Cour comme un simple Chevalier, est amoureux de moy, & je souffriray encore sa veuë & sa conversation ! Ha non Mandane, cette scrupuleuse vertu dont vous faites profession, ne le doit point du tout souffrir : & s’il est vray que l’amour ne puisse estre sans esperance ; il faut punir Artamene, & de sa temerité, & de sa folie. Car que peut-il esperer sans me faire outrage : que peut-il desirer sans extravagance ? & que peut-il pretendre sans m’offencer ? Mais helas ! reprenoit elle, il ne me dit rien qui me fasche, ny qui me doive fascher ; il ne me demande rien qui me puisse desplaire ; je luy dois la vie du Roy ; & le Roy luy doit plusieurs Victoires ; je luy dois mesme peut-estre tout le repos de mes jours : puis qu’il est à croire que le Roy de Pont auroit vaincu sans luy : & et que je ferois maintenant, ou sa Femme, ou sa prisonniere. Ne haissons donc pas Artamene parce qu’il nous aime : & pourveû qu’il ne nous le die jamais, ne luy disons rien de fascheux. Helas (disoit-elle quelque-fois, en parlant à Martesie) pourquoy faut-il qu’Artamene se soit mis un pareil sentiment dans le cœur ? & que n’est il demeuré dans les bornes d’une simple estime ? Pour moy, Madame, luy dit Martesie, j’ay peine à croire que vous songiez bien à ce que vous dites : & je ne sçaurois m’imaginer, quelque vertu qui soit en vostre ame, que vous aimassiez mieux qu’Artamene ne vous aimast