pour la Princeſſe, ſe reſolut du moins d’en faire un grand ſecret : & de ne laiſſer pas meſme de rendre office au Roy d’Aſſirie. Mais Chriſante, il ne diſoit pas une parole en ſa faveur, qui ne luy donnaſt mille deſplaisirs ſecrets : & la Princeſſe n’en prononçoit pas une à ſon des avantage, qui ne luy cauſast une joye, qu’il avoit bien de la peine à cacher. Ainſi il eſtoit fidelle & infidelle tout enſemble : ſa bouche parloit pour le Roy d’Aſſirie, & ſon cœur le trahiſſoit : & quoy qu’il fiſt, & quoy qu’il diſt, l’on voyoit touſjours dans ſon ame une ſi grande crainte de déplaire à la Princeſſe Mandane, que jamais je n’ay veû plus de reſpect en perſonne. Cependant nous ne ſoubçonnaſmes jamais rien de ſa paſſion : il paroiſſoit quelquefois aſſez melancolique, mais il avoit l’adreſſe de nous faire comprendre, ſans meſme nous le dire, que les malheurs de la Princeſſe le touchoient : & qu’il euſt bien voulu que le Roy d’Aſſirie euſt pü vaincre ſes propres ſentimens, & renoncer à tous ſes deſſeins.
Les choſes eſtoient en cét eſtat, lors qu’il nous arriva un ſurcroist d’infortune, qui nous donna bien de la peine : Ce fut que le Roy d’Aſſirie ne voyant nul changement en l’eſprit de Mandane, malgré ſes reſpects, ſes ſoumissions, & tous les ſoings de Mazare, commença de croire qu’il faloit neceſſairement que le cœur de la Princeſſe fuſt preocupé. Et ſe ſouvenant alors de tant de ſoubçons qu’il avoit eus qu’Artamene ne fuſt amoureux de Mandane ; & ſe ſouvenant encore en ſuitte, de ce qu’il avoit entendu de la bouche de Feraulas, touchant la condition d’Artamene ; & de la rougeur de la Princeſſe, qu’il avoit remarquée à Opis, quand il l’avoit nommée ; il n’en faut point douter (dit il au Prince Mazare, apres luy avoir