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Cette difficulté qu’il trouvoit, & qu’il n’avoit pas preveuë aussi grande qu’il la rencontroit alors, luy donnoit une douleur bien sensible : & l’on peut dire que si sa bouche ne parloit pas d’amour à la Princesse, toutes ses actions en parloient pour luy. Aussi ay-je sçeu depuis par Martesie, qu’il en fut parfaitement entendu : & que la Princesse expliqua comme il faloit, ses inquiétudes ; ses melancolies ; ses impatiences ; ses changemens de visage ; & ses resveries : & qu’elle ne douta plus du tout, qu’Artamene ne fust passionnément amoureux d’elle. Mais admirez, Seigneur, comme quoy la prudence humaine est bornée ! si mon Maistre eust parlé d’amour à la Princesse, en l’estat qu’estoient les choses, il estoit perdu pour tousjours Elle l’auroit mal-traité, & l’auroit banny d’aupres d’elle infailliblement, quelque estime qu’elle eust pour luy, & quelques grands services qu’il eust rendus au Roy son Pere. Mais parce qu’il ne luy en parla point ; & que cependant elle voyoit bien qu’il souffroit, & qu’ainsi il avoit beaucoup de respect pour elle ; cette Princesse le souffrit & en eut pitie : & reçeut malgré elle dans son cœur je ne sçay quelle tendresse que l’on pouvoit peut-estre desja nommer amour. Ce n’est pas que cette vertueuse personne la creust telle : car il est certain que si cela eust esté, elle se seroit surmonté elle mesme, à quelque prix que ce fust. Ce n’est pas aussi qu’elle ne s’observast avec soing : mais apres tout, c’est que l’amour porte je ne sçay quel aveuglement, dans l’esprit des personnes les plus esclairées ; qui les empesche de pouvoir connoistre les autres, & de se connoistre elles mesmes. Il y avoit pourtant des momens, où elle se faisoit plusieurs questions