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Vous pouvez donc bien juger, Seigneur, qu’Artamene ne pût pas exécuter celle qu’il avoit formée, de descouvrir sa passion à la Princesse ; puis qu’elle luy en osta toutes les voyes qu’il avoit accoustumé d’en avoir. Bien est-il vray que durant trois semaines ce fut avec tant d’adresse, qu’il ne creut point que Mandane eust nulle part à la chose : & il s’imagina que le hazard tout seul la faisoit. Cependant toutes les fois qu’il se souvenoit combien il avoit perdu d’occasions favorables, malgré l’assîduité de Philidaspe aupres d’elle, il en estoit au desespoir. Mais lors qu’il venoit à penser, que ce n’estoit point Philidaspe qui l’empeschoit d’exécuter ce qu’il avoit resolu ; il croyoit encore qu’il y avoit plus de malignité en son destin. Bien est il vray, qu’il ne fut pas longtemps sans cet obstacle : puis que vingt jours apres la visite du Roy & de la Princesse chez Philidaspe, il vint les en remercier : & occuper aussi opiniastrement la place qu’il avoit accoustumé de tenir chez Mandane, comme il faisoit auparavant. Ce fut lors que Martesie n’eut plus de besoin d’estre si soigneuse : & ce fut lors qu’Artamene desespera entierement de pouvoir entretenir sa Princesse en particulier. Il y avoit mesme eu plusieurs conversations generales, où Mandane avoit dit beaucoup de choses, qui pouvoient aisément faire connoistre à Artamene, que ce seroit un dessein bien dangereux, que de luy parler d’amour : car encore que ce n’eust esté qu’en parlant d’autruy, qu’elle eust explique ses sentimens ; il ne laissoit pas de croire que ce pouvoient estre les siens, veû l’air dont elle avoit parlé : & ainsi il ne pouvoit nullement douter, que ce ne fust s’exposer à un grad péril, que de descouvrir sa passion à la Princesse.