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que de faire un grand crime inutilement : trouvez donc bon que je taſche de ne tomber pas en une pareille faute. Le crime eſt commis. Madame : j’ay eu la hardieſſe de vous enlever : il faut que je taſche d’avoir le bonheur d’obtenir mon pardon, & de n’eſtre pas haï. Il n’eſt pas aiſé, reprit bruſquement la princeſſe, de ſe faire aimer par la voye que vous avez priſe : Que sçavez vous. Madame, ce qu’il doit arriver ? reprit ce Prince ; Ha ! je sçay bien, repliqua-t’elle, qu’il n’arrivera jamais que Mandane vous aime. Encore une fois, Madame, reſpondit il, il n’eſt rien, d’abſolument impoſſible en cela. Qui m’euſt dit le premier jour que je fus au Temple de Mars à Sinope, vous allez devenir eſperdûment amoureux, je ne l’euſſe pas creû : Et qui m’euſt dit le premier moment que je vy Artamene, en ce meſme lieu, & en ce meſme jour, vous le haïrez mortellement, je ne l’euſſe pas penſé : car enfin je ne voyois point encore de femme dans ce Temple, qui peuſt me donner de l’amour : & je trouvois Artamene beau, bienfait, de bonne mine, & fort civil. Cependant je vous ay aimée & je l’ay haï. La Princeſſe rougit au Nom d’Artamene, qu’elle n’avoit pas preveu que Philidaſpe deuſt prononcer : & ce Prince qui la regardoit touſjours s’en aperçeut. Toutefois il n’oſa alors en rien dire : & ce fut depuis à Babilone qu’il m’en parla. La Princeſſe voyant que cette converſation ne ſerviroit de rien, la rompit, & congedia ce Prince malgré qu’il en euſt.

A quelques jours delà, nous sçeuſmes la mort d’Aſtiage : quoy que Philidaſpe empeſchast autant qu’il pouvoit que l’on ne diſt rien à la Princeſſe : mais ayant apris qu’elle la sçavoit, il prit le deüil, & vint luy rendre viſite. Peu de temps en ſuite,