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retourna bruſquement : & reconnoiſſant mon Maiſtre à la voix, Artamene, luy dit il, le Roy d’Aſſirie n’eſt peuteſtre pas plus vaillant que Philidaſpe, mais il eſt du moins plus civil : puis que tout Roy qu’il paroiſt aujourd’huy, il ne laiſſe pas de vouloir encore meſurer ſon eſpée avec la tienne, bien que tu ne paſſes que pour un ſimple Chevalier. Avance donc (luy cria mon Maiſtre, qui voyoit que ce Prince balançait ſur ce qu’il devoit faire) & fois aſſuré que le Raviſſeur de Mandane s’eſt bien plus deſhonnoré en l’enlevant, qu’en ſe battant contre Artamene. Je ne devrois pas te combattre, luy reſpondit encore ce Prince, puis que je te dois la vie : Mais qu’y ſerois je ? un ſentiment ſecret qui me pouſſe a ſe haïr, eſt plus fort que ma generoſité. A ces mots ils s’approcherent, & ſe batirent : l’Eſpée d’Artamene fut teinte du ſang de ce Prince : & fila foule & la confuſion du combat general ne les euſt ſeparez ; la mort du Roy d’Aſſirie euſt à mon advis fini la guerre : Mais enfin eſtant arrivé que le bruit s’épandit dans ſes Troupes qu’il eſtait mort ou priſonnier, il y eut un deſordre qui n’eut jamais de ſemblable. Les uns combatoient, les autres fuyoient ; les Rois alliez croyant le Roy d’Aſſirie mort ſe retirerent : Creſus fit partir tous ſes Gens & les ſuivit : & prenant le chemin des Montagnes, ſauva du moins le reſte de ſes Troupes, de la déroute generale. Le Roy de Phrigie qui avoit eu ſujet de meſcontentement, parce qu’une partie des ſiennes avoit eſté miſe en meſme Corps que celles du Roy de Lydie, contre ce qu’on luy avoit promis, & qui eſtoit touſjours amoureux de la gloire d’Artamene ; ſe retira, & ſe retrancha en un lieu fort avantageux, pour voir quelle ſuitte auroit noſtre victoire :