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s’empeſcher de parler de la choſe du monde qui le touchoit le plus ſensiblement ; raconta au Roy comment il avoit rencontré Philidaſpe : comment il avoit veû un Pavillon tendu dans la Foreſt ; comment il avoit tué ceux qui attaquoient le Raviſſeur de Mandane ; & comment enfin il avoit autant ſervy à ſon enlevement que Philidaſpe. Cét eſtrange evenement ſurprit ſi fort le Roy, & augmenta encore de telle ſorte ſon affliction, qu’il ne fut plus capable de prendre garde à celle d’Artamene, qui avoit eſtrangement paru, lors qu’il avoit fait ce recit : mais par bonheur ceux qui l’entendirent creurent que la douleur exceſſive qui paroiſſoit ſur ſon viſage & dans ſes paroles, n’eſtoit qu’un ſimble effet de l’avanture qu’il avoit euë. Joint auſſi, que toute la Cour eſtoit ſi triſte elle meſme du malheur de cette Princeſſe, qu’il n’y avoit perſonne aſſez deſinteressé pour prendre garde ſi exactement à ſes actions. Apres que le recit de ce facheux evenement fut achevé, & que chacun en eut parlé avec eſtonnement : Seigneur, dit alors mon Maiſtre parlant à Ciaxare, ne voulez vous pas me permettre d’aller chercher Philidaſpe ? que je ne puis me reſoudre d’apeller Prince d’Aſſirie : me ſemblant qu’il eſt aſſez difficile de croire, qu’un Fils de la Reine Nitocris, qui eſt une des plus Grandes & des plus ſages Princeſſes du monde, ait pû concevoir un deſſein ſi injuſte. Bien eſt il vray (adjouſta-t’il, emporté par ſa paſſion) qu’il n’eſt pas auſſi à croire, qu’un homme qui ne ſeroit pas de naiſſance Royalle, peuſt avoir oſé entreprendre d’enlever la Princeſſe de Capadoce. Ha ! Artamene, s’eſcria Ciaxare, que l’averſion que vous avez toujours euë pour Philidaſpe, eſtoit bien mieux fondée que vous ne penſiez !