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ne m’advertir pas que je ne devois point le ſervir en une occaſion ſi injuſte ? Et comment eſt il poſſible que mon Rival ait pû ſe déguiſer à mes yeux ? je le connoiſſois, quand je ne le connoiſſois pas, ou du moins quand je ne le devois pas connoiſtre : & je ne l’ay pas connu, en un temps où il m’eſtoit ſi important de sçavoir que c’eſtoit Philidaſpe, & qui eſtoit Philidaſpe. Imaginez vous Feraulas, me diſoit il, ſi les Dieux euſſent permis que j’euſſe sçeu la verité, quelle auroit eſté ma joye : lors qu’apres avoir combattu & vaincu Philidaſpe, j’euſſe eſté dans ce Pavillon, où j’euſſe trouvé ma Princeſſe ; où je l’euſſe delivrée ; & l’euſſeramenée à Themiſcire. Mais imaginez vous auſſi, ma douleur & mon deſespoir, de voir que c’eſt moy ſeul qui ſuis la cauſe de ſa perte ; que c’eſt moy qui l’ay miſe entre les mains de Philidaſpe ; & qui l’ay preſque enlevée. Car enfin j’ay pû le perdre & je ne l’ay pas fait ; j’ay pû me joindre à ceux qui l’attaquoient, & je les ay attaquez ; & j’ay pû ſauver Mandane que j’ay perduë. Mais il faut reparer cette perte s’il eſt poſſible : ou du moins nous vanger de celuy qui nous l’a cauſée. Accordez moy donc juſtes Dieux, aſſez de conſtance pour ſupporter ce terrible accident ſans mourir : je sçay bien que la mort eſt le ſecours de tous les malheureux : & que ce remede me gueriroit de tous les maux que je ſouffre : Mais divine Mandane, vous faites aujourd’huy en moy, ce que les perils les plus effroyables n’ont jamais pû faire. Ouy ma Princeſſe, ce cœur qui n’a point aprehendé la mort, dans les plus ſanglantes Batailles : a quelque crainte d’en eſtre ſurpris, par l’accablement de ſes deſplaisirs. je crains ma Princeſſe, je crains : mais à mon advis cette crainte n’eſt ny laſche, ny foible : & puis que je ne crains la mort, qu’