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homme qui n’avoit nulle part en ſa confidence : il n’y pût trouver de meilleure invention, que de renfermer toute cette exceſſive douleur dans ſon ame. Chriſante remarquant aiſément l’inquietude de mon Maiſtre, auſſi toſt que cét Eſcuyer eut achevé ſon recit, le fit ſortir avec beaucoup d’adreſſe. Cependant Artamene ne sçachant pas trop bien comment il pourroit ſouffrir la veüe de Ciaxare, ſans luy deſcouvrir trop ouvertement ſon deſespoir, envoya Chriſante pour aprendre ce que faiſoit le Roy : afin d’avoir quelque loiſir de ſe preparer à une choſe ſi difficile. Mon Maiſtre enfin me voyant ſeul aupres de luy, me regarda d’une façon ſi touchante, qu’il euſt inſpiré la pitié, à la perſonne du monde la plus cruelle. Feraulas, me dit-il, Mandane eſt enlevée, & enlevée par Philidaſpe : Philidaſpe, dis-je, que j’ay pû tuer plus d’une fois. Mais Ciel, s’eſcrioit il, eſt il bien poſſible que cette puiſſante averſion que j’ay touſjours euë pour luy, dans le temps meſme que je ne le croyois pas eſtre mon Rival, m’ait permis de meſconnoistre le Raviſſeur de Mandane, & ait pû ſouffrir que mon bras ait aſſisté mon plus mortel Ennemy ? Quoy, Mandane, reprenoit il tout furieux, vous eſtiez dans ce Pavillon que j’ay veû, & cét Inconnu eſtoit Philidaſpe ! Quoy, je vous ay peut-eſtre veüe à l’entrée de cette Tente ! Quoy, je vous ay pû ſauver, & je vous ay moy meſme perduë ! Quoy, j’ay pû tuer ceux qui vouloient vous ſecourir, & j’ay empeſché que l’on n’aittué Philidaſpe ! Quoy, j’ay pû vous delivrer, & je ne l’ay pas fait ! Quoy, j’ay ſervy à voſtre enlevement ! & le traiſtre Philidaſpe qui m’a reconnu ſans doute, a bien pû ſe reſoudre d’accepter le ſecours de ſon Ennemy ! Quoy Mandane, vous n’eſtes plus à Themiſcire, & vous eſtes