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choix disproportionné à sa condition, en choisissant Artamene ; elle agit d’une maniere qui embarrassa un peu moins mon Maistre, que si effectivement elle eust voulu le porter à ce que Thomiris vouloit. Il est pourtant certain, qu’il ne se trouva jamais en une occasion plus fâcheuse : il pria cent fois Gelonde de vouloir bien persuader à la Reine, qu’il avoit pour elle toute l’estime qu’il pouvoit avoir : mais que quand il auroit esté fort amoureux d’elle, il n’auroit jamais pû se resoudre à manquer au respect qu’il devoit au Roy de Capadoce. Enfin Seigneur, il luy dit tout ce qu’un homme d’esprit & un honneste homme peut dire, pour ne couvrir pas de honte & de confusion, une grande & belle Reine. Gelonide & luy, estant donc bien convenus de ce qu’elle avoit à respondre, cette Femme s’en retourna vers Thomiris, qui l’attendoit avec une impatience estrangge : elle ne la vit pas plustost, que faisant sortir tout ce qui estoit dans sa chambre ; & bien Gelonide, luy dit elle, sçauray-je enfin par vostre bouche, si c’est Thomiris ou sa Couronne, qu’Artamene estime indigne de luy ? C’est bien plustost luy, Madame, repliqua Gelonide, qu’il croit indigne de l’une & de l’autre. Mais Madame, adjousta-t’elle, il dit deplus, que quand il pourroit aspirer sans injustice, à l’honneur que vostre Majesté luy veut faire : que quand outre l’estime qu’il a pour vous, il auroit encore une passion demesurée ; la fidelité qu’il doit à Ciaxare, feroit qu’il se resoudroit plustost à mourir, qu’à manquer à ce qu’il doit à son Maistre. Quoy, reprit Thomiris, quand mesme il m’aimeroit, il en useroit ainsi ? Il n’en faut presque pas douter Madame, luy dit Gelonide, & l’amour ne le feroit jamais