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feu, & luy fait pousser des flames plus vives : de mesme Thomiris voulant tout d’un coup esteindre cét embrazement naissant, qu’elle sentoit dans son ame ; l’alluma davantage, & fit qu’une petite estincelle, qui n’avoit presque encore ny lumiere ny chaleur, prit une nouvelle force, par l’agitation qu’elle se donna. Enfin elle aporta tant de soing à sçavoir ce qui la tourmentoit : qu’elle s’en esclaircit, & trouva que c’estoit l’amour.

D’où vient (disoit elle à Gelonide, lors qu’il ne luy fut plus possible de celer sa douleur) que la veüe de cét Estanger, me donne de la joye & de l’inquietude ? à moy, dis-je, qui ay passé toute ma vie, sans connoistre ny la haine, ny l’amour : & qui n’ay jamais rien aimé, que la liberté & la gloire. Qu’ay je, disoit-elle, à m’affliger, quand je ne le voy point & quand je le voy ? S’il à de l’esprit & de l’agrément, pourquoy ne souffray-je pas sa conversation. sans chagrin ? Et s’il n’en a pas, pourquoy son absence m’inquiete t’elle ? Ne sçay-je pas qu’Artamene n’est icy que pour quelque temps ? & que la mesme fortune qui me l’a amené, me l’ostera dans peu de jours ? Mais quand cela ne seroit pas, adjoustoit elle, que voudrois-je d’Artamene ? N’ay-je pas sçeu par un des siens, qu’il ne veut pas que l’on die quelle est sa naissance ? De plus, ne sçay je pas encore, que quand toutes ces considerations ne seroient pas assez fortes, il y en à une autre invincible, où je ne sçay point de remede ? Car enfin, disoit elle, quand l’amour seroit une passion absolument permise ; quand Artamene seroit Prince, & Prince de quelqu’une des deux Scithies ; Thomiris devroit elle songer à l’aimer, puis qu’il ne l’aime pas ? Ha non non, ne renversons point l’ordre universel du monde : les Dieux n’ont pas