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au bord de l’Araxe (ce fleuve fameux qui borne le Royaume des Massagettes) je pense que mon Maistre ne sçeut point quelle route nous tinsmes. Il ne sçeut, dis-je, si nous avions pris celle de la Province des Aspires ; si nous avions traverse la Colchide ; ou si nous avions pris le haut des Montagnes. Enfin, je pense qu’il ne sçeut si nous avions esté sur la mer ou sur la terre ; ny si nous avions passé des forests ou des rivieres : tant il est vray qu’il fut entierement possedé par sa passion & par ta melancolie, pendant ce voyage qui est assez long, & où l’on voit d’assez belles choses.

Estant donc arrivez au bord de l’Araxe, nous le passasmes sur de grands bateaux, qui sont destinez à cét usage, pour la commodité de ceux qui voyagent en ce païs là : & nous commençasmes, s’il faut ainsi dire, d’entrer en un autre Monde. Car Seigneur, nous ne vismes plus ny Villes, ny Vilages, ny Maisons, ny Temples : & toute cette grande estenduë de païs qui borde un des costez de l’Araxe, & qui regarde vers les Issedones, n’est que de grandes & vastes Plaines, entremeslées de petites Colines extrémement agreables. un objet si nouveau, força la melancolie d’Artamene : & l’obligea de remarquer avec plaisir, que toutes ces Plaines & toutes ces Colines estoient semées de cent mille Tentes differentes, & par leurs formes, & par leur grandeur, & par leurs couleurs. L’on en voyoit deux ou trois cens en un mesme lieu ; trente ou quarante en un autre ; quelques unes en plus petit nombre, & d’autres mesmes toutes seules, & separées de tout le reste. L’on voyoit aussi grande quantité d’une espece de Pavillons roulans, dont ces Peuples se servent, principalement à la guerre : qui sont de grands chariots couverts de Dais magnifiques, sous lesquels