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en parut aussi si affligée ; que quand ils eussent sçeu infailliblement qu’ils ne se reverroient jamais, ils ne l’eussent pas esté davantage. Cét adieu, comme vous pouvez penser, se fit sans autres tesmoins, que la fidelle Martesie ; avec laquelle il y avoit desja quelque temps que j’avois lié une amitié tres estroite. Ce compliment ne fut pas long : & leur conversation se fit presque plustost par leur silence que par leurs paroles. La tristesse qui paroissoit dans les yeux d’Artamene, fut toute l’eloquence qu’il employa à prier sa Princesse de ne l’oublier pas s & la douleur qu’il vit dans ceux de Mandane, fut presque toute la faveur qu’il reçeut d’elle en s’en separant. Voulez vous bien, luy dit il, Madame, que je ne démente pas mes propres yeux ? Et me permettrez vous de croire, que j’ay quelque part à la melancolie que je voy dans les vostres ? Ouy Artamene, luy respondit elle, je vous le permets : & je ne seray pas mesme marrie que vous croiyez qu’il y en a plus dans mon cœur, que vous n’en voyez sur mon visage. Il n’en eust pas falu plus que cela, pour ressusciter mon Maistre s’il eust esté mort : mais je pense aussi Seigneur, qu’il n’en eust guere plus falu pour le faire mourir & de douleur & de joye. Aussi ces deux sentimens opposez, firent tant de desordre en son ame ; qu’il en perdit la parole, & presque la raison. Il quitta donc la Princesse sans luy dire plus rien : & la regardant aussi long temps qu’il le pût, il sortit enfin, & monta a cheval sans sçavoir ny qui estoit aveque luy ; ny quel chemin il tenoit ; ny mesme ce qu’il pensoit. Le premier jour de nostre voyage, se passa de cette sorte : le second ne fut guere moins melancolique : tous les autres furent à peu pres semblables : & depuis Themiscire jusques