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le Roy de Pont, vous ne sçavez point aimer ? ou pour mieux dire, vous n’avez jamais aimé. Car sçachez que quelque mal traité que l’on puisse estre ; que quelque rigueur qui paroisse dans les yeux de la personne que l’on aime que quelque cruauté qu’elle puisse avoir dans le cœur ; que quelques fascheuses paroles qu’elle puisse dire ; sa veüe a tousjours quelque douceur, & cause tousjours quelque plaisir : & je ne sçay si un Amant mal traité, & qui voit la personne qui le mal-traite ; n’a point de plus heureux momens, qu’un Amant aimé, & absent de ce qu’il aime. Ainsi genereux Artamene, pourveû que je voye Mandane, je seray tousjours consolé : quand mesme elle ne me dira rien d’obligeant. Faites donc je vous en conjure, que Ciaxare ne me refuse pas la grace que j’envoyeray luy demander. je vous ay desja dit, repliqua Artamene, que je ne me sçaurois mesler de rien qui regarde la Princesse : & que tout ce que je puis, c’est de travailler pour vostre liberté : mais je le seray si ardamment, que vous connoistrez sans doute par là qu’Artamene veut s’acquiter de ce qu’il vous doit : & que s’il vous refuse les autres choses que vous souhaitez de luy, c’est qu’il a des raisons invincibles qui l’empeschent de vous les accorder : & qui l’en doivent raisonnablement empescher. Ne voyez vous pas Seigneur, luy dit il encore, que je suis Estranger en Capadoce ? que je n’y ay de pouvoir que celuy que mon espée m’y a donné ? & qu’enfin ce que vous desirez de moy, est une chose où je ne puis ny ne dois pas vous servir ? Le Roy de Pont, quoy que tres-ignorant de la veritable raison, qui faisoit agir Artamene de cette sorte ; ne laissa pas de recevoir ses excuses : & connoissant bien qu’en este, il souhaitoit des choses aparemment impossibles, à la reserve