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meure : & j’ignore si absolument, si je seray le plus malheureux Prince de la Terre, ou le plus heureux : qu’il n’est pas aisé que cette cruelle incertitude, ne mette un grand trouble en mon ame. Car enfin j’en suis arrivé aux termes, que je ne puis plus attendre autre chose, qu’une mort tres inhumaine, ou une vie comblée de beaucoup de felicité. Artamene adjousta encore cent autres raisonnemens à ceux-cy, qui me donnoient de la compassion ; & qui me faisoient voir clairement, qu’il aimoit autant qu’on pouvoit aimer. Mais pendant qu’il me parloit de cette sorte, la Princesse entretenoit Martesie, & s’entretenoit elle mesme, sur ce qui luy estoit arrivé : qui vit jamais, disoit elle, une avanture semblable à la mienne ? je fais des vœux, j’offre des Sacrifices, & je remercie les Dieux de la mort de Cyrus : & ce mesme Cyrus est le tesmoing de ces Sacrifices & de ces vœux : & malgré tout cela, il m’aime ; il me sert ; il s’attache aupres du Roy mon pere ; & fait cent milles belles choses, dont je n’ose presque me souvenir, de peur qu’elles ne rendent Cyrus trop puissant dans mon cœur. Helas justes Dieux ! poursuivoit elle, pourquoy avez vous permis que les hommes expliquassent si mal vos intentions ? & qu’ils creussent que Cyrus devoit renverser le Trosne du Roy des Medes, & commander à toute l’Asie ; luy, dis-je, qui n’employe sa valeur, qu’à l’avantage de celuy qui doit porter quelque jour le Sceptre d’Astiage ? Mais Madame, luy dit Martesie, qui sçait si les Dieux n’ont point entendu que Cyrus regnera en Medie, en espousant une Princesse, qui selon les aparences en fera Reine, si les choses ne changent de face ? Si les Dieux l’avoient voulu, reprit elle, ils n’auroient pas mis dans le cœur d’Astiage,