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reprit la Princeſſe, que je ne me ſois pas reſjoüie de la mort d’un Prince que je ne connoiſſois point, & qui ne m’avoit fait aucun mal : puis que vous avez bien eu la generoſité de ne vouloir pas vous vanger d’un Roy qui vous avoit voulu faire mourir : & de ſervir comme vous avez fait, un Prince qui tient la vie de celuy qui vous l’a vouluë oſter. Mais Artamene, luy dit elle (car je n’oſerois encore vous nommer Cyrus) bien qu’en vous connoiſſant pour ce que vous eſtes, je n’aye pas diminué l’eſtime que je fais de vous ; & qu’au contraire, voyant que je vous ay encore plus d’obligation que je ne penſois, je me trouve engagée à plus de reconnoiſſance : neantmoins j’advoüe que je ne sçay pas trop bien comment je dois agir aveque vous. Si je vous regarde, pourſuivit elle, comme un Prince qui n’a pas voulu ſe vanger de ſon ennemy, parce que les droicts du ſang l’en devoient empeſcher : comme un Prince, dis-je, qui n’a pas laiſſe de m’aimer, malgré toutes les raiſons qui devoient l’en deſtourner abſolument : qui a ſauvé la vie au Roy mon Pere : qui a mille & mille fois expoſé la ſienne pour luy : qui s’eſt veû tout couvert de bleſſures : qui a conqueſté des Provinces ; gagné des Batailles ; fait des Rois priſonniers ; empeſché l’effect d’une dangereuſe conjuration ; qui m’a enfin pû aimer aſſez long temps ſans me le dire, & ſans me deſplaire. Si je vous regarde, dis-je, de cette ſorte, j’advouë Artamene, que ſans choquer la vertu ny la bien-ſeance, je pourrois ſouhaitter que du conſentement du Roy mon Pere, je puſſe vous donner quelque marque de l’eſtime extraordinaire que je fais de vous. Mais ſi je vous regarde auſſi comme ce Prince, de qui la naiſſance a eſté