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il y avoit assez loing de Sinope au lieu où nous estions campez : & hors d’une diligence extraordinaire, je ne pouvois pas si tost arriver. Ainsi se voyant presse par sa passion, & dans une impatience extréme de revoir sa Princesse ; apres avoir esté chez le Roy il fut chez Mandane : & il y fut avec une agitation d’esprit, qui n’eut jamais de semblable, jusques là, il n’avoit senty qu’une crainte respectueuse en l’approchant : mais en cette occasion, il craignit de toutes les façons dont l’on peut craindre. La Princesse de son costé, sçachant qu’Artamene alloit entrer dans sa chambre, en changea de couleur plus d’une fois : & il y eut quelques moments, où ille eut de la colere, de n’estre pas Maistresse absoluë des mouvements de son cœur. Comme elle estoit sur son lict il luy fut un peu plus aisé de cacher le desordre de son esprit qu’à Artamene : qui par malheur pour luy, trouva beaucoup de monde chez la Princesse. Il la salüa avec tout le respect qui luy estoit deû : & elle le reçeut avec toute la civilité que la Princesse de Capadoce devoit à un homme qui venoit de remporter des Victoires, & de faire des Rois prisonniers. Mais ce fut toutefois avec une certaine retenuë, que mon Maistre remarqua : & qui luy fit croire durant quelque temps, qu’elle avoit veû ce qu’il luy avoit escrit. Elle sçait sans doute, disoit il en luy mesme, ce que je souhaite, & ce que je crains qu’elle ne sçache : & un moment apres la Princesse luy disant quelque chose d’obligeant ; le me trompe, adjoustoit il, elle ne sçait encore rien, de ce que je veux qu’elle ne sçache pas, & de ce que je n’oseray jamais luy dire. La Princesse d’autre part, n’estoit pas peu embarrassée : elle