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s’aimer Artamene mort, & que vous le deviez haïr vivant. Ha Martesie, s’écria Mandane, que mes sentimens sont esloignez de la haine ! & qu’Artamene feroit heureux, si je l’aimois un peu moins ! Car enfin si je ne me deffiois pas de mon cœur, je vivrois aveque luy comme auparavant : j’attendrois, comme vous dites, qu’il me donnast un juste sujet de me pleindre : & je demeurerois en repos. Mais Madame, repliqua Martesie, le ne voy pas qu’il faille vous inquieter si fort : Artamene, à ce qu’il vous escrit, & à ce que Feraulas vous à dit, est Prince : ainsi encore une fois, je ne voy point qu’il y eust tant de sujet de vous offenser, quand mesme il entreprendroit de vous dire ce qu’il vous a escrit. Ha ma chere fille, reprit la Princesse, ce que vous me dites pour me consoler, est ce qui m’afflige encore davantage : car si Artamene n’estoit pas de la condition dont il se dit estre, sa temerité m’auroit offencée : & tout mort qu’il auroit esté, je n’aurois eu au plus, que de la compassion de sa folie & de son malheur : mais icy, je ne voy rien qui m’offense ; & rien pourtant qui ne me fasche. Car apres tout, je ne dois point me choisir un mary : de plus, cette fatale coustume, que les Assiriens qui ont esté Maistres de la Capadoce, ont laissée parmy nous, & qui veut que je n’espouse point un Prince Estranger ; ne me laisse nul pretexte, qui puisse justifier l’affection d’Artamene pour moy : ny moins encore celle de Mandane pour luy. Ainsi Martesie, il la faut vaincre : & c’est à dire qu’il faut se faire une violence extréme ; qu’il faut rendre Artamene malheureux, & me rendre infortunée. Il me semble desja, disoit elle, que je le voy chercher dans mes yeux, de quelle