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de tous les services d’Artamene : j’ay repassé cent & cent fois dans mon esprit, toutes ses vertus, & toutes ses bonnes qualitez : j’ay r’apellé toutes ses actions dans ma memoire : elles m’ont toutes dit qu’il m’avoit aimée, d’une maniere tres respectueuse : j’en ay plus creû, qu’il ne m’en pouvoit jamais dire : & l’en ay eu plus de reconnoissance, qu’il n’en pouvoit jamais esperer. Enfin, Martesie, sa mort a fait naistre mon amitié, pour ne pas nommer autrement, une affection toute pure : jugez donc si apres avoir abandonné mon ame à une passion toute innocente, il me sera bien aisé de la combattre & de la vaincre. Il le faut toutefois, reprit elle, quand mesme nous en devrions mourir. Mais Madame, luy dit Martesie, Artamene est il plus coupable vivant, qu’il n’estoit dans le Tombeau ? Non, respondit la Princesse ; mais il m’est plus redoutable. Ce n’est pas que je pretende luy oster absolument mon amitié : & tout ce que je pourray faire, sera peut-estre bien assez, si je puis ne luy en donner nulles marques. Mais Madame, reprit Martesie, pourquoy le voulez vous punir, luy qui n’est pas criminel ? Et pourquoy voulez vous aussi vous affliger, en le rendant malheureux ? Attendez Madame, qu’il vous donne sujet de pleinte : & s’il vous dit quelque chose qui vous déplaise, il sera assez à temps de vous priver de sa veuë. Mais Martesie, interrompit la Princesse, comment voulez vous que je le puisse voir, sans une confusion estrangge ? Et comment voulez vous encore qu’en le voyant, je puisse venir à bout de bannir de mon ame, cette affection que j’y avois reçeue, lorsque je le croyois dans le Tombeau ? Pour moy, Madame, répliqua Martesie, je vous advoüe que je ne puis concevoir que vous eussiez raison