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bonheur ; je voudrois bien qu’il ne fust pas en estat de quitter la Chambre, que je n’eusse auparavant resolu, de quelle façon je dois vivre aveque luy. Comment, Madame (interrompit Martesie toute surprise) Artamene de qui je vous ay veû pleurer la mort avec tant d’amertume, sera peut-estre, dites vous, un peu trop tost guery ! Ha ! Madame, j’ay sans doute mal entendu : ou sans y penser vous vous estes mal expliquée. Nullement, Martesie, reprit elle ; & la bizarrerie de mon destin, fait que je n’aprehende guere moins la veuë d’Artamene, que j’ay desiré sa vie. Car sçachez, luy dit elle en changeant de couleur, que j’ayme la gloire, preferablement à toutes choses : mais que je ne hais pas aussi assez Artamene, pour me pouvoir priver de sa conversation sans repugnance. Cependant vous jugez bien Martesie, qu’apres m’avoir fait sçavoir qu’il a de l’amour pour moy ; je ne dois plus luy donner la mesme liberté qu’il a euë autrefois parmy nous ; & qu’il faut que je vive avec beaucoup plus de contrainte que je ne faisois, dans un temps où je n’avois pas pour luy la tendresse que je sens dans mon cœur, malgré toute ma Vertu. Car enfin Martesie (puis qu’il faut vous descouvrir le fond de mon ame) sçachez que si Artamene eust eu la hardiesse de me parler de son amour, je l’eusse mal traité ; je l’eusse banny ; & je l’eusse peut estre moins estimé : parce que j’eusse soubçonné qu’il n’eust pas eu une véritable estime pour moy. Mais de la façon dont j’ay sçeu cette amour, la compassion ayant attendry mon cœur : je l’ay aprise sans colere ; je l’ay creuë sans difficulté : & comme je ne voyois pas qu’il peust y avoir nulle dangereuse suite en cette affection ; je ne me suis point opposée à sa naissance. je me suis souvenuë