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ce Portrait : ha s’écria-t’elle, genereux Inconnu, je pense que vous avez raison : & je ne doute presque plus, que vous ne soyez point Spitridate : car Spitridate, adjousta-t’elle, ne pourroit jamais estre capable de regarder cette Peinture, avec une pareille froideur : non pas mesme quand il feroit inconstrant. A ces mots, elle quitta mon Maistre : & s’en allant retrouver sa Mere, il n’en faut point douter, luy dit elle, celuy que vous prenez pour Spitridate ne l’est pas : il a regardé le Portrait que je luy ay monstrré sans joye & sans esmotion : il n’en a ny pasly ny rougy : son ame est demeurée tranquile : ses yeux n’en ont point paru ny plus guais ny plus tristes : & il est impossible enfin, que cet homme soit Spitridate. Non Madame, luy dit elle, il n’est point mon Frere, puis qu’il n’est point Amant de la Princesse de Pont : & il n’est point amoureux, puis qu’il a pû voir ce Portrait avec tant d’indifference. Luy, dis-je encore une fois, qui ne l’a seulement jamais entendue nommer sans rougir : qui ne l’a jamais veuë sans changer de couleur : & luy enfin qui a esté le plus amoureux de tous les hommes. Ce fut de cette sorte que cette Fille parla : & ce fut en effect, ce qui commença de desabuser le plus cette Dame. Mon Maistre aprit ce que je viens de vous dire, d’une des Femmes qui avoient soing de luy : & qui voulant l’obliger, luy raconta ce quelle avoit entendu. Tant y à Seigneur, que cette Dame s’estant enfin laissé persuader qu’Artamene n’estoit point Spitridate ; se resolut de ne laisser pas de le bien traiter : & son merite avoit desja si puissamment gagné son cœur ; que le voyant un matin en assez bon estat, Genereux Estranger, luy dit elle, puis que vous n’avez pas voulu estre Spitridate, il faut