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quelque ennemy caché dans cette Cour qui vous en defferoit aiſément, s’il eſtoit aſſuré de ne vous déplaire pas. Ha non Cleandre, die la Princeſſe, je ne veux point que la vengeance d’autruy ſe meſle avecques la mienne : & on me deſobligeroit extrémement, d’entreprendre aucune action violente contre ce Prince. Je trouveray peut-eſtre bien les voyes de le punir de ſon opiniaſtreté à m’importuner, ſans avoir beſoin du ſecours de perſonne : & ſi ce que vous m’avez dit eſt vray, que le Prince mon Frere haït ſi fort Arteſilas, que cela eſt cauſe qu’il en protege plus puiſſamment Adraſte : je me vangeray de tous les deux, en traittant ſi bien le Rival de l’un & l’ennemy de l’autre ; que peut eſtre partageront ils à leur tour l’inquietude qu’ils me donnent. Ha Madame (s’écria Cleandre eſtrangement ſurpris de ce diſcours) ſeroit-il bien poſſible que la plus ſage Princeſſe du monde, vouluſt ſe vanger ſur elle meſme, en ſe voulant vanger d’autruy ? Car Madame (adjouſta-t’il, avec un redoublement de melancolie extréme) ne me fiſtes vous pas l’honneur de me dire l’autre jour, qu’Arteſilas vous eſtoit fort indifferent ? Ouy, luy dit— elle ; mais entre l’indifference & la haine, il y a encore bien à choiſir. Au nom des Dieux Madame, luy dit Cleandre, ne prenez point un deſſein, qui, ſi je l’oſe dire, vous feroit peut eſtre paſſer pour bizarre : car enfin vous venez de mal traitter Arteſilas aux yeux de toute la Cour : que dira t’on de vous voir changer ſi promptement ? Il y a ſans doute quelque raiſon à ce que vous dites, repliqua t’elle, mais j’aime encore mieux eſtre creuë un peu inégale, que d’eſtre perſecutée impunément, & par le Prince mon Frere, & par Adraſte. Enfin