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d’aupres de la Princeſſe, aſſez content d’avoir pu penetrer dans le fonds de ſon ame. Il y avoit touteſfois des momens, où quand il venoit à ſonger, que toute cette joye n’eſtoit fondée, que ſur ce que ſa Princeſſe n’aimoit rien : ô Dieux ! s’écrioit-il, n’ay-je pas perdu la raiſon, de me réjouir de ce qui me devroit faire pleurer ! Car peut on jamais eſtre heureux & n’eſtre point aimé ? & peut-on eſtre aimé quand la Perſonne aimée ne sçait pas ſeulement que l’on aime ? Mais apres tout, reprenoit-il, je ſuis aſſuré que ce cœur dont je deſire la poſſession n’eſt à perſonne : Ouy, adjouſtoit-il, mais je ſuis auſſi preſques certain qu’il ne ſera jamais à moy. Ainſi de quelque coſté que je regarde la choſe, je ne puis jamais eſperer d’eſtre content : & la plus grande felicité que je puiſſe attendre, eſt de faire que mes Rivaux ſoient malheureux comme je le ſuis. Cependant il commença d’obeïr à la Princeſſe : & comme le Prince Atys luy devoit la vie, du temps qu’il eſtoit à la guerre des Miſiens : & que de plus il sçavoit que ſon eſprit luy plaiſoit extrémement : il employa toute ſa faveur & toute ſon adreſſe une ſeconde fois, pour luy faire abandonner la protection d’Adraſte, mais il ne luy fut pas poſſible d’en venir à bout. Car outre qu’en effet le Prince avoit quelque averſion pour Arteſilas : il y avoit encore une raiſon plus puiſſante que celle là qui le faiſoit agir, & que Cleandre découvrit enfin : qui eſtoit qu’Adraſte eſtoit celuy qui avoit remis Anaxilée bien avec Atys : de ſorte que cette Fille voulant reconnoiſtre ce bon office, le protegeoit ſi puiſſamment aupres de luy, que toute l’adreſſe de Cleandre & tout ſon credit ne ſe trouverent point aſſez forts, pour luy faire changer de reſolution.